Annabelle s'étonna, une fois de plus, d'être dans un nouveau décor. Cette succession d'événement décousu avait sur elle un effet angoissant que, heureusement sa mémoire et sa nature dépassait rapidement.
Alors que rozenmilna s'installait au Piano, Annabelle cherchait un endroit où s'installer. Elle choisit une banquette, ce qui lui permettait au moment de s'assoir de ne pas louper l'objet et de conserver quelque soit sa position une certaine dignité. Celle ci était de style Louis XV, bien que ses motifs magenta faisait plutôt penser à du Louis XIV.
Comment diable pouvait-elle savoir cela ?
Elle s'installa donc, sur une fesse, un peu de coté, soutenu par son bras gauche dans une position mélangeant subtilement la diva et le badaboum (le jeu d'empilement de pièces de bois).


Rozenmilna lui expliqua l'attente forcée. Annabelle ne comprit pas vraiment ce qu'elles attendaient, ni dans que but. Mais elle avait confiance dans sa primogène et ne posa pas de question.

• je … faire la conversation … c'est que … je ne saurais dire... je n'ai guère de conversation, vous savez... déjà parce que la moitié de ce qui sort de ma bouche est une bêtise. Du coup, mon père m'a enseigné de me taire le plus souvent possible.
  

Annabelle marqua une pause, pour se rendre compte, en fait, que son père la prenait effectivement pour une imbécile. Ce qui n'est pas très valorisant, et explique peut être son manque de confiance...

• Et … vous savez, j'ai passé toute ma vie dans ma maison, à apprendre ce que je sais, entourée de ma domesticité. On faisait tout pour moi, ne me laissant que peu d'autonomie. Le seul moyen que j'avais de connaître le monde, c'était les nombreux livres que j'avais à disposition. Mais j'ai eu du mal à maitriser la lecture.
  

Elle marqua une nouvelle pause.

• je me souviens... j'ai quelques souvenirs confus d'une fois où je n'étais pas à la maison. Il y avait des gens gentils qui m'accompagnerait. C'était une sorte de mission. Je me souviens de la robe qu'ils m'ont fait porter... Un vêtement qui avait plus de rapport avec la philatélie qu'avec le prêt à porter... Mais je me souviens surtout qu'ils m'ont laissée longtemps dans la chambre de l'hôtel et dans cet endroit il y avait un objet fascinant : la télévision. Je l'ai regardé des heures... des nuits entières... C'est de là que je tire mes connaissances du monde actuel.
  

Annabelle s'arrêta un moment comme si elle avait finit son discours. Mais au dernier moment, elle se souvint que ces anecdotes avaient un sens.

• Tout ça pour dire qu'on peut discuter de la Nouvelle Star, si vous voulez... et de nous amuser à imaginer comment nous dépècerions vivants les trois juges/animateurs...
  

• Je dois confesser qu'au départ je n'avais pas très bien compris le sens même de cette émission. Je pensais à une sorte de punition publique infligée à quelque gredins. Je pensais même que c'était parce qu'ils chantaient mal. Mais j'ai fini par comprendre que je me trompais...
  

Annabelle cessa alors de parler pour se remémorer ces instants, mais seuls les sentiments confus qu'elle avait éprouvée jadis lui revenaient, la tristesse, la compassion, la colère...

• Des pauvres gens rêvaient de spectacle, de chansons et de danses, mais tout ce qu'ils obtenaient, c'était le mépris, la honte, l'humiliation. Ça me rendait triste... J'ai découvert rapidement que tirer sur la télévision ne tuait pas les gens qui étaient dedans... enfin au bout de quelques essais toutefois.
  J'ai découvert alors que le mal pouvait prendre des visages de strass et de paillette.
  

Un instant grave et rêveuse, Annabelle se repris et offrit à sa compagne un joli sourire.

• Il y avait un petit homme, tout mal fagoté, pas très beau, qui chantait comme une casserole... je pense que même moi je pourrais faire mieux... mais il souriait. Il était content d'être là. Il n'offrait pas une grande prestation, juste de la joie, de la complicité. J'aimais bien le petit homme.
  

Le visage d'Annabelle se referma pour exprimer un sentiment ambiguë, difficile à cerner, entre le dépit et la colère, sans être aussi expressif.

• Ils se sont moqué de lui. Ils l'ont ridiculisé. Il est reparti, toujours avec le sourire alors que la foule... la foule... c'est terrible la foule... tandis qu'ils riaient tous de lui... il soirait, mais j'ai pleuré pour lui...
  … personne ne mérite qu'on se moque de sa joie et de sa gentillesse...
  J'ai arrêté de regarder la télévision. C'est une fenêtre cruelle sur des gens mauvais. Et puis les gens de l'hôtel se lassaient de remplacer la télévision cassée.
  

Annabelle se tu un instant... laissant le temps à son sentiment de disparaître. Puis son sourire revint.

• Joueriez vous de la musique pour moi ? Je chanterais pour vous...
  

Rozenmilna avait parlé et bien que ses paroles étaient pleine de sens, quelque chose en Annabelle ne voulait pas abandonner les faibles à leurs sorts. Mais elle ne dit rien, elle opina même du sous chef, acceptant sans résistance l'avis de son primogène.
Également, la déception de ne pouvoir entendre de la musique, de chanter, resta en elle, son visage ne montrant d'un aspect neutre.

• et bien allons y, le travail n'attends pas...
  

… mais quel travail, au fait ?

[Vers les bureaux]

Les yeux d'Adelaïde commençaient à se troubler à force de lecture et de griffonnage. Elle en savait assez tout en cumulant les trous. Son regard fut alors attiré par la signature des articles.
La réponse était là sous ses yeux, si Ziberman était absent, elle avait devant elle une source immense de savoir et de ragots à portée de la main.
Se levant, elle rangea son fatras, le bourrant dans son sac et sortit du petit salon après avoir salué les gardes d'un sourire radieux.

[Sortie bureau harpie ]