"Monsieur Litovsky nous a blah, blah, blah..."
Le choc de cette rencontre impromptue la fit soupirer une nouvelle fois. Adieu l'entrée en la matière bien récitée, merci mon Sire. Ivan avait visiblement mieux à faire que de venir la chercher en personne. C'est que ce n'était pas si grave que ça, si ? Elle faillit rire, juste comme ça, sans raison, juste pour se détendre enfin. Et se retint.
Elle détourna les yeux du premier envoyé pour vérifier ce que trafiquait le second avec ses bagages.

- Faites attention...Je tiens à tout ça.

Elle ne voyageait pas léger. Si sa venue à Paris devait être définitive, elle avait prévu le coup. Son regard se dirigea vers le jet et ses sourcils se froncèrent. Un sentiment étrange la fit frissonner. Il s'agissait là du seul moyen qu'elle avait pour retourner à Moscou et tout effacer. Mais ce n'était pas si simple. "Hasta la vista, mon Sire, on se revoit dans 48 ans ?". Faudrait tester, un jour.
Pour l'heure, elle se contenta de détourner le regard avant de monter en voiture. Et, histoire de, elle se pencha pour incliner la tête vers celui qui tenait la porte :

- Hey, hey, Ivanou ?

Elle rit et se replaça correctement. Fallait bien que ça sorte, que son stress retombe d'une manière ou d'une autre.

Marina épiait les faits et gestes de ceux qui s'affairaient à Tetris. Par un rétro, par la vitre arrière, à se tordre dans tous les sens, autant qu'elle le pouvait. Une petite moue réprobatrice gagna ses lèvres lorsqu'ils claquèrent le coffre. Pour un peu, elle aurait pu grincer des dents mais préféra jouer profil bas.
Elle étira son corps et se calla bien au fond de son siège, sa tête s'enfonçant progressivement dans ses épaules. Elle jeta un regard en coin au garde du corps et ouvrit la bouche, comme si elle allait lui faire une petite réflexion bien placée, mais abandonna quand on lui tendit le premier pli. La curiosité effaça approximativement tout le reste de ses émotions et elle dut se redresser séant pour la saisir. Et avant même qu'elle n'ait eu le temps de l'ouvrir, le serviteur lâcha le morceau. Une clé.
Un "Mais tu connais pas la joie des surprises, ou quoi ?" fut à peu près le regard d'enterrement qu'elle lui lança. Elle sortit l'objet de l'enveloppe, pour la forme et le glissa dans son décolleté, à l'abri des regards.

La seconde enveloppe l'intrigua déjà bien davantage. Elle la décacheta et pencha sa tête au-dessus de l'ouverture.

- Je suis sensée mettre ça où ?

Elle releva les yeux vers le rabat joie et arqua un sourcil interrogateur.

- Et vous êtes loin d'être en robe, conclut Marina en haussant les épaules.

Elle lâcha le reflet du type des yeux pour se concentrer sur son petit cadeau. Le ranger dans son sac n'était pas une si mauvaise idée mais de là, à admettre qu'il y avait de la place, c'était une autre affaire. Zip. Elle fouilla, remua; sortit deux-trois bricoles qu'elle plaça entre les mains du garde du corps, tenta de caller l'arme à feu, recommença. Voila, comme ça. Ca ferait l'affaire, le temps qu'elle change de sac, en tout cas. Re-zip. Le sac regagna ses cuisses. Elle posa son coude sur la butée de la portière et son menton dans sa main pour regarder dehors. Son nez touchait presque la vitre alors que ses yeux filaient sur le paysage à l'allure de la voiture.

- Non, jamais lu.

Une pause, assez brève mais significative.

- Je vais le voir quand, Ivan ? Il va en avoir pour longtemps avec ses affaires ?

Marina accorda un simple sourire à son propre reflet, bien qu'il ne soit pas destiné au sien mais plutôt à celui du serviteur. Sans trop se fouler, quoi.
Une réunion du Primogène, hein...C'est vrai, Ivan avait gagné en prestige et en importance ici, à Paris. C'était pour cette raison qu'il ne rentrerait certainement jamais à Moscou et qu'elle aussi avait maintenant été entraînée dans tout ça. Se considérait-il auprès des siens ? Chez lui ? Cette distance à parcourir lui paraissait encore énorme. Cet insupportable trajet avec ces insupportables inconnus, beaucoup trop long. Cette impatience dont elle faisait preuve était bien tout le contraire de son Sire, à son plus grand damne. La faute n'était pas celle de son escorte mais, dans l'esprit de Marina, c'était tout comme.
Elle qui redoutait cette entrevue avec Lui, s'en languissait maintenant.

- Merci, ça ira.

Un petit pas pour les gardes, un grand pas pour Marina. C'était quasi sincère. Elle se redressa sans se presser pour ensuite pouvoir mieux se pencher vers l'avant de la voiture. Elle calla sa tête contre le siège passager.

- Ils sont où ces journaux ? C'est encore loin ?

La serviette noire dans les mains, Marina se mit à son aise, souleva son sac à main pour pouvoir croiser les jambes et se plongea enfin dans la lecture des journaux. Elle parcourait les pages sans se presser et bâillait une fois sur trois. Mettons ça sur le dos du décallage horaire. Elle devait s'y reprendre à plusieurs fois sur une seule et même phrase, tant son esprit était évasif, ses pensées ailleurs. Elle n'avait certainement pas totalement assimilé toute la portée de l'endroit où elle se rendait à l'instant même. Seulement obnubilée par Ivan.
La caïnite leva la tête lorsque la voiture s'arrêta et qu'il y eut du mouvement de la part des serviteurs. Pas un feu rouge, pas un stop, pas un foutu rond point bombé et, surtout, pas de bouchons. Vraiment un arrêt complet du véhicule et qui marquait leur arrivée à destination. Exactement comme à son départ de l'aéroport du Bourget, le rabat-joie lui ouvrit la portière pour lui permettre de descendre comme une dame de la haute. Elle lui fit un signe de tête, sans plus, et sortit. L'attaché caisse resterait dans la voiture et son garde du corps personnel également. Ici, elle serait seule.

[Vers Le Louvre/Petit Salon]